« Tu verras le bovin de ton frère, ou son mouton égaré, et tu ne te détourneras pas d’eux ; rapporter, tu les rapporteras à ton frère. » Dévarim (22 ; 1)
Le Rambam écrit (Sefer Hamitsvot, Mitsva 269) : « Il nous est interdit de nous détourner d’un objet perdu, au contraire, nous devons le prendre et le ramener à son propriétaire, ainsi qu’il est dit (Dévarim 22 ; 3): « Tu n’as pas le droit de t’abstenir… »
Le Sifri nous enseigne que tout celui qui ne le ramène pas, enfreint à la fois un commandement positif et un négatif. Positif, parce qu’il doit ramener l’objet perdu et qu’il ne le fait pas ; négatif, parce qu’il lui est interdit de se détourner de cet objet, de faire comme s’il ne l’avait pas vu, et qu’il le fait malgré tout.
Nos Sages s’étonnent de la rigueur de la Torah au sujet d’une perte financière que subirait notre prochain dans un tel cas. En effet, s’il a perdu quelque chose, c’est à cause de sa négligence, s’il l’avait mieux gardé, cela ne serait pas arrivé. Or cette négligence va entraîner que celui qui trouvera sa bête sera obligé par la Torah de s’en occuper. C’est-à-dire de prendre sur son temps, de s’occuper de la bête, de la nourrir… jusqu’à retrouver son propriétaire afin de la lui remettre.
Ils élaborent un raisonnement « a fortiori » afin de résoudre cette question. Si la Torah est tellement rigoureuse en ce qui concerne la perte financière de mon prochain due à une négligence, à fortiori l’est-elle en ce qui concerne sa perte spirituelle. Ainsi a fortiori doit-on nous occuper de notre prochain non pratiquant ou non croyant, qui a perdu son lien à la Torah. Quel que soit le milieu d’où il vienne, il se retrouve à présent coupé de La Source, « empêché » de s’intéresser ou de se rapprocher des merveilles de la Torah.
Le Rambam appelle ces Juifs égarés : « Tinok Chénichba », un enfant qui a été capturé, arraché à sa famille, et élevé par ses ravisseurs dans un esprit étranger à celui de la Torah, il faute donc par ignorance. Il existe un autre type de Juifs égarés, celui qui a reçu une éducation Juive convenable, mais qui s’est laissé prendre aux mailles du filet de la tentation du monde extérieur, sa faiblesse l’a donc peu à peu éloigné de la Torah.
Quelle que soit l’histoire de notre prochain, il incombe à chacun de nous de ne pas nous « détourner » de sa perte spirituelle, et de lui « rapporter » ce qu’il a perdu. Il existe malheureusement dans toutes les familles ou entourages proches, une personne qui s’est égarée, la perte peut être plus ou moins grande, mais dans tous les cas, même pour une perte minime, nous avons l’obligation de nous en soucier et de lui rapporter ce qu’il a perdu. La Torah nous dit : bovin ou mouton, (c’est-à-dire grande ou petite perte), tu devras le ramener à son propriétaire.
Il nous semble parfois à tort que le combat est perdu d’avance, que nos paroles seront vaines et ne feront que maintenir voire renforcer les positions de ce pauvre Juif égaré. Alors on n’essaie même pas, et on se contente de nos mérites personnels : notre Chabbat, notre cacherout, nos enfants… On avance tout seul et on laisse l’autre sur le bas côté, détruire sa vie et son Monde Futur.
Essayons de mieux comprendre ce processus grâce au récit suivant :
Comme cela arrive de temps à autre, la ville Plonit, une nuit d’hiver, se trouva totalement privée d’électricité à cause de violents orages. D’habitude après quelques minutes, le courant est rétabli, et les habitants retrouvent la lumière, mais ce soir-là, après une heure, deux heures… toujours rien.
Pourtant les équipes de secours travaillaient dur, et après avoir effectué toutes les vérifications d’usage, elles n’avaient toujours pas compris d’où provenait la panne.
Les ouvriers montèrent alors dans la grande salle de contrôle, où se trouvait le chef de la sécurité du secteur, et à la grande surprise de tous, ils le virent avec un livre à la main, et une lampe posée sur le front, en train de lire tout tranquillement. L’un d’entre eux lui demanda s’il était au courant que toute la ville était sans lumière, et que depuis deux heures tous attendaient qu’il relève les fusibles ! Il leur répondit d’un air nonchalant que ce n’était pas un drame puisque lui avait de la lumière.
Ce n’est pas parce que nous faisons pénétrer la Chékhina dans nos maisons, grâce à nos efforts personnels, et que la Présence Divine, la lumière céleste, inondent nos foyers, qu’il ne faut pas se préoccuper de ceux qui demeurent dans le noir complet : le chaos spirituel. Nous pouvons, comme le montre notre exemple, essayer de relever les fusibles afin de partager notre lumière.
Cependant, de même que pour une vache perdue, nous devons respecter certaines lois afin de la rendre en bon état, de même il faudra ramener la spiritualité perdue sans casse ni fracas.
C’est-à-dire qu’il faudra déployer nombre d’efforts pour faire aboutir notre démarche, mais avec l’art et la manière ! En effet, lorsque l’on se trouve dans une pièce totalement obscure, on ne peut pas tout d’un coup sortir en plein jour par un soleil éblouissant, car alors, notre première réaction serait de fermer les yeux. Redonner une vie spirituelle, raviver cet éclat que tout Juif recèle en lui, doit se faire progressivement.
Si nous le bousculons, si nous voulons le réveiller en ouvrant d’un coup les volets, sa réaction sera de se cacher sous la couverture et nous n’aurons rien gagné.
Pour lui rendre ce qu’il a perdu, nous allons devoir entrer en connexion avec son cœur, qui est la source de tous nos faits et gestes, comme nous l’explique Rabenou Mi Bartenora (Avot 2 ; 9).
Or voici à quels types de réponses nous nous trouvons le plus souvent confrontés dans ce genre de contexte : « Moi je suis un Juif dans le cœur, pas besoin de tout ça.. ».
Ce à quoi nous pouvons lui répondre que la pensée ne suffit pas. Nous avons des enfants et nous les aimons de tout notre cœur, mais si nous ne nous en tenions qu’à cela, nos enfants risqueraient de manquer de tout. Nous les aimons avec le cœur mais nous agissons pour leur bien, c’est-à-dire que nous les nourrissons, les habillons, les consolons et les grondons, chaque fois que c’est nécessaire et par amour.
Et bien pour Hachem, c’est la même chose. Nous L’aimons avec le cœur, nous Lui sommes reconnaissants de tout ce qu’Il nous offre à chaque instant, pourtant cela ne suffit pas : Pour aimer, il faut passer à l’acte, DONNER, sinon l’amour s’étiole… Mais alors c’est quoi être Juif ? Une nationalité ? Une religion parmi d’autres ? Non, c’est avoir reçu l’héritage Divin, le préserver, et le considérer comme le plus précieux des trésors.
On voit par exemple que Hachem a « endurci le cœur de pharaon », ce qui l’empêcha de raisonner.
De là nous comprenons qu’il faut, pour atteindre le cœur de l’autre et le mettre en action, l’attendrir. Un homme sensible, c’est un homme qui pourra agir vers le bien.Il n’y a pas un Juif au monde qui puisse dire qu’il ne croit pas en D.ieu sans qu’il soit en train de se mentir à lui-même.
Qu’Hachem n’ait pas à nous faire subir de dures épreuves, mais que lorsqu’elles surviennent, si elles surviennent, et que la main de l’Homme devient faible et inefficace, notre cœur cherche l’issue. Et la seule porte qui puisse encore s’ouvrir lorsque toutes les autres sont fermées à double tour, est celle qui conduit vers notre Père qui règne dans les Cieux, Qui nous ouvrira tout grands « Ses Bras », après que nous ayons versé des larmes de repentir.
Chabat Chalom
Rav Mordékhaï Bismuth
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