10 février 2025

Bamidbar: Un jour de joie

Dans le traitĂ© Pessa’him (68), on note une certaine contradiction dans les versets se rapportant aux fĂȘtes de l’annĂ©e. Quelques fois elles sont appelĂ©es « ‘Hag lHachem » des commĂ©morations pour D
 durant lesquelles on doit prier, Ă©tudier la Torah, et s’élever sur le plan spirituel. Mais un autre verset prĂ©cise « ‘Hag la’hem » ces jours vous sont rĂ©servĂ©s, vous devez y manger, boire, vous reposer, passer du temps en famille. Rabbi Eliezer explique qu’en effet, l’homme a le choix, les jours de fĂȘtes peuvent lui ĂȘtre exclusivement rĂ©servĂ©s ou il peut les consacrer Ă  D
.

Rabbi Yeoshua voit les choses diffĂ©remment. Les journĂ©es de fĂȘte devront ĂȘtre divisĂ©es en deux, une partie devra ĂȘtre consacrĂ©e Ă  la spiritualitĂ©, l’homme doit prier avec plus de concentration et doit Ă©tudier davantage. L’autre, lui sera consacrĂ©e, il pourra vaquer Ă  ses besoins. Rabbi Eliezer s’oppose Ă  cette idĂ©e en avançant qu’on ne peut se consacrer aux deux Ă  la fois.

Au sujet de Chavouot cependant, tout le monde est d’avis que bien qu’il s’agisse de la commĂ©moration du don de la Torah, il y a une Mitsva de faire une SĂ©ouda. Rachi remarque qu’ayant reçu la Torah ce jour-lĂ , l’homme se doit de montrer sa joie. L’explication donnĂ©e semble Ă©tonnante. Le contraire apparait plus juste, puisqu’il s’agit de la fĂȘte de la Torah, le meilleur moyen de montrer notre bonheur serait de l’étudier sans arrĂȘt, au moins ce jour-lĂ .

Lors du don de la Torah, des Ă©clairs et du Chofar retentirent, proclamant le moment solennel qui Ă©tait en train de se passer. Il est dit Ă  propos de Nadav et Avihou (les fils d’Aaron Hacohen) qu’ils « contemplĂšrent Hachem, mangĂšrent et burent ». A cause de leur comportement, ils furent condamnĂ©s Ă  mort. Mais pour ne pas gĂącher la grandeur de l’évĂšnement, D
 reporta leur sentence et les laissa en vie. Dix mois s’écoulĂšrent et au moment de l’inauguration du Tabernacle, Rosh hodesh Nissan, Nadav et Avihou pĂ©nĂ©trĂšrent dans le Saint des Saint et furent intĂ©gralement brulĂ©s.

Ce jour-lĂ  n’était-il pas un jour de joie ? Il est dit que Matan Torah est le jour de la ‘Houppa alors que l’inauguration du Michkan, le ‘Heder I’houd. Pourquoi les punir Ă  ce moment-lĂ  ?  Ils pĂ©nĂ©trĂšrent dans cet endroit alors qu’ils avaient bu et Ă©taient un peu « ivres ». VoilĂ  l’explication exprimĂ©e dans le verset de Chemini au moment de leur mort. Quel est donc le rapport avec l’évĂšnement de Matan Torah ? Quelle est exactement la raison de leur mort ? AprĂšs cet Ă©pisode, D
 met en garde Aaron de ne jamais pĂ©nĂ©trer dans le Saint des Saint en Ă©tant ivre ou en ayant bu, un tel comportement serait passible de mort. Comment Nadav et Avihou auraient Ă©tĂ© au courant d’une telle ordonnance puisqu’elle a Ă©tĂ© Ă©mise aprĂšs leur mort ? Comment leur reprocher et les punir pour un comportement au sujet duquel ils n’ont pas Ă©tĂ© avertis ? Rappelons qu’on ne parle pas d’hommes rĂ©ellement ivres, ils n’avaient bu qu’un peu de vin. Le Cohen Gadol a l’interdiction de boire ne serait-ce qu’un Reviit avant d’effectuer son service quotidien.  Comment prĂ©tendre que les fils d’Aharon aient pu deviner pareille ordonnance ?

La Paracha d’A’harĂ© Mot traite de deux sujets principaux, Yom Kippour et tous les interdits sexuels. Hachem nous met en garde, l’Egypte d’oĂč les enfants d’IsraĂ«l viennent de sortir et Cannaan dans laquelle ils s’apprĂȘtent Ă  pĂ©nĂ©trer, sont des endroits dont le taux d’immoralitĂ© est le plus Ă©levĂ©. Nous sommes donc avertis de ne pas imiter de tels comportements.  Nous devrons respecter les lois de D
 et par elles, on vivra.  La Guemara explique que l’on doit vivre grĂące Ă  la Torah, elle est une source de vie et non une raison de mourir. Si notre vie est menacĂ©e on devra transgresser la Torah.

Or il existe trois exceptions Ă  ce sujet, l’idolĂątrie, le meurtre et les relations interdites. Dans tous ces cas, on devra plutĂŽt se laisser mourir plutĂŽt que de les transgresser. Ce principe est mentionnĂ© exactement Ă  l’endroit oĂč il n’est pas valable. S’il avait Ă©tĂ© mentionnĂ© Ă  l’endroit des interdits de Chabbat, cela aurait Ă©tĂ© comprĂ©hensible. On a l’obligation de respecter le Chabbat tant que notre vie n’en dĂ©pend pas, dans le cas contraire la Torah nous ordonne de transgresser les interdits car la vie est plus importante. Or, le principe est citĂ© au miment oĂč l’on parle des interdits sexuels pour lesquels on doit oui se laisser mourir.

La Torah apparait aux yeux de nombreuses personnes comme une succession d’interdits limitant notre libertĂ© et nos plaisirs. Les non-juifs peuvent faire ce qu’ils veulent, manger oĂč bon leur semble, se vĂȘtir comme ils veulent. Ce n’est pas notre cas. On se convainc du bien de nos actions en pensant aux rĂ©compenses du monde futur.  Cependant cette maniĂšre de penser est contraire Ă  la vision de la Torah. Vivre une vie de Torah c’est s’assurer le bonheur dans ce monde-ci avant tout. Le bonheur dĂ©pend d’une satisfaction personnelle, non pas de la quantitĂ© de plaisirs que l’on peut cumuler. Le vĂ©ritable bonheur est de sentir qu’on fait du bien, qu’on rĂ©alise la raison pour laquelle on a Ă©tĂ© crĂ©Ă©. Ressentir que D
 est satisfait de notre comportement procure Ă  l’homme une joie intense. A premiĂšre vue, 613 Mitsvot c’est difficile Ă  accomplir et cela nous limite. On se doit de sanctifier le nom de D
 en montrant que justement ceux qui accomplissent la volontĂ© de D
 sont les plus stables et les plus heureux.

Arayot (interdits sexuels) sont le symbole de l’ensemble des plaisirs de ce monde. C’est le domaine oĂč le mauvais penchant de l’homme est le plus fort, un domaine dans lequel il est trĂšs difficile de rester saint. La Torah nous relate une succession d’interdits, l’homme se sent privĂ© dans ses possibilitĂ©s d’avoir du plaisir. Ce n’est pas ainsi que l’on doit lutter contre les Arayot, « Vous vivrez Ă  travers elles ». Notre plaisir dans l’accomplissement des Mitsvot et particuliĂšrement dans l’étude de la Torah doit ĂȘtre si intense que l’on n’est plus attirĂ© par autre chose. La clĂ© pour ne pas ĂȘtre attirĂ© par les Averot, et par le monde matĂ©riel, est de faire en sorte que la Torah devienne notre plaisir matĂ©riel. Le bonheur et la joie dans l’accomplissement de la Torah nous font oublier nos besoins dans les autres domaines. L’homme est dĂ©jĂ  satisfait de ce qu’il est et de ce qu’il possĂšde, il n’a pas besoin de rechercher du plaisir ailleurs.

Au moment du don de la Torah, Hachem nous a fait dĂ©couvrir un monde inconnu jusque-lĂ , on a ressenti un plaisir spirituel Ă©norme, on Ă©tait attirĂ© par les paroles de D
, c’est pourquoi il est Ă©crit qu’à chaque parole prononcĂ©e par Hachem, le peuple juif mourrait, littĂ©ralement leurs Ăąmes sortaient de leur corps.  Les paroles de D
 Ă©taient si douces et agrĂ©ables que nos Ăąmes furent attirĂ©es par D
 au point de quitter nos corps. On dĂ©sirait avoir ce plaisir Ă  jamais. Ce sentiment et cette satisfaction peuvent se retrouver Ă  travers une vie consacrĂ©e intĂ©gralement Ă  la Torah.

Nadav et Avihou « mangĂšrent et burent » or Ă  ce moment le plaisir spirituel Ă©tait tellement intense qu’ils auraient dĂ» se satisfaire uniquement de cela. Le fait d’avoir dĂ©sirĂ© autre chose a montrĂ© que cela ne leur suffisait pas. D
 est la source de tout et de tous les plaisirs. Ce fut un ‘Hilloul Hachem que de montrer qu’ils avaient en quelque sorte besoin d’autre chose. MochĂ© RabĂ©nou lorsqu’il monta quarante jours auprĂšs d’Hachem avant de descendre la Torah, ne bu ni ne mangea. Son corps se nourrissait de Torah et la relation avec D
 Ă©tait si intense que MochĂ© n’avait besoin de rien d’autre. ‘Hanoukat Abait fut un moment tout aussi extraordinaire, une joie spirituelle intense s’en dĂ©gagea, ainsi qu’une proximitĂ© avec D
. Qu’ont fait Nadav et Avihou ? Ils burent du vin. En rĂ©alitĂ© ils n’ont transgressĂ© aucun interdit car comme on l’a dit, l’ordonnance du vin n’a Ă©tĂ© donnĂ©e qu’aprĂšs leur mort.

Le problĂšme Ă©tant, ce jour-lĂ  tu as besoin de boire du vin ? Le vin a Ă©tĂ© crĂ©Ă© pour rĂ©jouir les gens qui ont eu un malheur lo alĂ©nou ou un problĂšme, le vin est lĂ  pour leur redonner un peu de joie. Or le jour de ‘hanoukat Abait, y a-t-il de joie plus intense que celle-lĂ  ? Pourquoi utiliser un autre moyen, la joie ressentie n’est-elle pas suffisante ? Ils furent punis car ils refirent Ă  deux reprises la mĂȘme faute, signe qu’ils ne comprirent pas la leçon. Un jour de plaisir spirituel si intense tu recherches d’autres plaisirs, ils furent punis la deuxiĂšme fois pour avoir rĂ©pĂ©ter leur comportement.

Rabbi Eliezer est d’avis qu’un homme peut choisir son comportement durant Yom Tov. Il peut dĂ©cider de se consacrer entiĂšrement Ă  D
 (koulo lHachem) ou entiĂšrement vaquer Ă  ses plaisirs (koulo la’hem). Or, il approuve que le jour de Chavouot on doit aussi faire « koulo la’hem » ce qui semble Ă©tonnant car justement durant cette fĂȘte, on est censĂ© se vouer Ă  la spiritualitĂ©. Etant le jour oĂč l’on a reçu la Torah, il semble logique de l’étudier encore plus intensĂ©ment. L’intention de ses propos est de dire que ce jour-lĂ  mĂȘme quand on fait « lHachem » on agit « lahem ». En rĂ©alitĂ© il ne s’agit pas de multiplier les repas, notre bonheur dans l’étude doit ĂȘtre si intense que « koulo l’Hachem » et « koulo la’hem » sont Ă©quivalents. A Chavouot, la joie ressentie Ă  travers l’étude de la Torah doit ĂȘtre telle qu’elle Ă©quivaut aux plaisirs matĂ©riels procurant de la joie Ă  l’homme, le corps lui-mĂȘme ressent un plaisir intense. Il n’y a pas de plus grand Kidouch Hachem que de ressentir et de montrer que la Torah est douce et nous procure une satisfaction intense dans ce monde. Le la’hem ne correspond pas aux repas ou autres plaisirs matĂ©riels mais au fait de mettre sur le mĂȘme plan les plaisirs spirituels et matĂ©riels.

Depuis Rosh Hodesh Sivan on a l’habitude de lire la Tefila du Chla, une demande d’aide divine dans l’éducation de nos enfants et le souhait profond qu’ils perdurent l’enseignement et la trace de nos ancĂȘtres. On prie pour la rĂ©ussite de nos enfants dans la Torah. Il est frĂ©quent de voir des TalmidĂ© ‘Hahamim dont les enfants ne suivent pas tout Ă  fait la voix indiquĂ©e par leurs pĂšres. La guemara dit que beaucoup de TalmidĂ© ‘Hahamim ne prononcent pas la Birkat Hatorah. Etonnant, il s’agit d’une Mitsva comme une autre, comment prĂ©tendre qu’ils passent cette Mitsva outre ? En rĂ©alitĂ© dans cette bĂ©nĂ©diction il est dit « que Tu nous as sanctifiĂ© dans Tes paroles de Torah » « rends nous douce la Torah dans nos bouches et celle de nos enfants » Que signifie que les TalmidĂ© ‘hahamim ne prononcent pas cette bĂ©nĂ©diction ? Ils ne demandent pas assez la douceur dans la Torah, ils ne prĂ©sentent pas assez le cĂŽtĂ© doux de la Torah Ă  leurs enfants. Seul le cotĂ© difficile transparait. Une telle Torah ne peut ĂȘtre transmise, qui a envie d’un fardeau Ă  porter ?

Rav MichaĂ«l Guedj – Roch Kollel “Daat Chlomo” BneĂŻ Brak