25 avril 2024

Lecture du « Tikoune » la nuit de Chavouot : l’importance et la sainteté de cette nuit

Les décisionnaires (cf. le Michna Broura 494, 1) rapportent au nom du Ari Zal (Chaar Ha Kavanot) que « celui qui ne dort pas du tout pendant la nuit de Chavouot et s’adonne à l’étude de la Torah est certain de vivre toute cette année et de ne subir aucun dommage

». On peut, à travers cela, se rendre compte de l’importance de l’étude pendant cette nuit, puisque l’on ne trouve pratiquement nulle part la formulation d’une telle promesse (« est certain de vivre toute cette année… »). Le Ari Zal ajoute : « Ce n’est pas tout mais encore de cela dépend la décision de faire vivre l’homme pendant cette année. »

Cet enseignement puise en réalité sa source dans les paroles suivantes du Zohar (dans l’introduction) qui rapporte que Rabbi Chimone et tous ses fidèles s’adonnaient à l’étude de la Torah pendant toute cette nuit et chacun d’entre eux innovait des paroles inédites de Torah. Leur joie était immense au point que Rabbi Chimone leur dit alors :

« Mes enfants, heureux est votre sort car la fiancée, la Présence Divine, ne pénétrera sous le dais nuptial demain qu’en votre compagnie, car tous ceux qui s’occupent d’arranger les apparats de la fiancée pendant cette nuit dans la joie, seront inscrits dans le Livre du Souvenir et le Saint-Béni-Soit-Il les bénira de soixante-dix bénédictions et de soixante-dix couronnes des mondes supérieurs. » Plus loin, le Zohar poursuit en disant : « Celui qui s’associe à Elle pendant cette nuit, sera protégé En-Haut et en bas pendant toute cette année et il finira cette année en paix. »

Dans un autre endroit, le Zohar (98a) rapporte : « C’est pourquoi les Anciens ne dormaient par durant toute cette nuit et étudiaient la Torah en disant : ”Venons

hériter la Torah qui est un patrimoine sacré pour nous-mêmes et pour nos enfants dans ce monde et dans le monde futur.” »

Veillons donc à remplir et à exploiter au mieux cette nuit tellement sacrée !

Rabbi ‘Haïm Brime aperçut une fois un juif qui somnolait pendant la prière du matin de Chavouot (en ayant succombé au sommeil après une nuit entière d’étude). Lorsqu’il se réveilla, Rabbi ‘Haïm lui demanda :

« As-tu déjà vu dans ta vie un fiancé qui somnole sous le dais nuptial ? Le jour des noces du peuple d’Israël, c’est le jour du don de la Torah ! »

Un homme demanda une fois à Rav Chlomo Zalman Auerbach : connaissant sa propre nature, il savait qu’en veillant toute la nuit pour étudier la Torah, il allait somnoler le matin lors de la prière. A quoi devait-il donner priorité ?

Rav Chlomo Zalman Auerbach lui répondit alors sagement : « Bien que selon la loi, la prière du matin a la priorité sur la veillée qui n’est qu’une coutume, néanmoins, tu dois veiller à l’âme de tes enfants (en lui signifiant ainsi : que D. préserve qu’ils apprennent  de toi à traiter avec désinvolture cette coutume ancestrale observée par tous les juifs !). »

Rabbi ‘Haïm Leib Auerbach (le père de Rav Chlomo Zalman) avait coutume de se rendre le jour de Chavouot chez le Rav Moché Yossef Hofman, juge rabbinique de Papo, qui habitait au fin fond de Jérusalem, afin de lui donner sa bénédiction à l’occasion de la fête.

Une année, il le trouva le visage rayonnant de joie et lui en demanda la raison.

« Je n’avais pas l’intention de t’en parler, lui répondit-il, mais puisque tu me le demandes, je vais te révéler un secret : lorsque j’étais jeune homme, j’ai étudié dans la grande Yéchiva du Ketav Sofer (le fils du

‘Hatam Sofer, n.d.t). Il était de tradition au nom du ‘Hatam Sofer que celui qui étudie toute  la nuit de Chavouot sans s’interrompre ne fût-ce qu’un instant avec une grande concentration, mériterait de voir le Prophète Eliahou. De nombreux Ba’hourim essayèrent de mener à bien cette promesse, mais sans y parvenir. Moi-même, je tentai durant des années d’étudier toute la nuit sans m’interrompre mais je n’ai jamais mérité d’arriver au bout. Cette année, j’ai étudié toute la nuit en ne concentrant mon esprit que sur l’étude. Or cela faisait longtemps que je butais sur la compréhension d’un passage du Zohar. Dans la nuit, un vieil homme est venu et me l’a expliqué très clairement. Après qu’il eut fini, je fermai les yeux pour réfléchir à son explication. Lorsque je les ouvris, il avait disparu. En regardant la montre, je constatai que l’aube était arrivée Je compris alors que ce vieillard n’était autre que le Prophète Eliahou. Comment ne serais-je pas rempli d’allégresse? »

Chacun pourrait se dire : « Qui suis-je pour assumer un tel rôle ? Penses-tu vraiment que moi, qui suis si petit et misérable, puisse parer la Présence Divine de Ses bijoux ? »

Ecoutons plutôt ce que dit le Séder Yom  à ce sujet en rapportant les paroles du Zohar (citées plus haut) : « Heureux est celui qui mérite un tel honneur qui fait l’orgueil et l’apparat du Créateur. Que cela ne soit pas une mince chose à ses yeux, car même si l’homme est faible et misérable sous un certain angle, il a le pouvoir de soutenir tous les mondes, ce que même un ange céleste ne peut accomplir. Et il donne (si l’on peut dire) force et vaillance au Créateur du monde, comme il est écrit (Dévarim 33, 26) : “Il chevauche les Cieux par ton aide.” Chacun, aussi petit et simple soit-il, doit s’habituer à se considérer et à s’enorgueillir dans ce domaine en se disant : “Peut-être que grâce  à moi, l’accomplissement de la Volonté Divine dans un certain domaine sera rendue possible ?” Nos Sages enseignent : “Que la bénédiction d’un homme simple ne soit pas négligeable à tes yeux (…). Lorsqu’une

personne se dévalorise à ses propres yeux  en disant “qui suis-je et que vaux-je pour être digne de parfaire les mondes par mes actes ou (au contraire) de les endommager (…)”

Voici les célèbres paroles de Rabbi Chlomo Alkabèts (l’auteur du chant bien connu Lekha Dodi, n.d.t) pendant la nuit de Chavouot

: « Lorsque nous commençâmes à étudier la Michna et après avoir terminé deux traités, notre Créateur nous fit mériter d’entendre une voix Céleste qui disait : “Ecoutez mes amis qui recherchez la perfection, mes amis bien-aimés, que la paix soit sur vous, heureux soyez-vous et heureux soient celles qui vous ont mis au monde, heureux soyez-vous dans le monde futur, vous qui vous efforcerez de Me couronner cette nuit ! Voilà plusieurs années déjà que Ma couronne est tombée et personne ne Me console. Je suis jeté dans la poussière en étreignant les immondices. A présent, vous M’avez restitué ma couronne. Efforcez-vous encore mes amis, soyez courageux mes bien-aimés, réjouissez-vous et sachez que vous comptez parmi les gens de valeur et que vous faites partie du Sanctuaire du Roi, que la voix de votre Torah et que le souffle sacré de votre bouche sont montés jusque devant le Saint-Béni-Soit-Il et qu’ils ont transpercé plusieurs espaces et plusieurs Cieux avant d’y arriver. Les anges célestes se sont tu, les Séraphins sont demeurés inertes, les saintes ‘Hayot se sont arrêtées, toute l’armée Céleste et le Saint- Béni-Soit-Il écoutent votre voix (…) ! Vous êtes tellement élevés ! Heureux soyez-vous et heureux celles qui vous ont mis au monde, mes amis qui n’avez pas donné le sommeil   à vos yeux ! Grâce à vous, Je me suis élevé cette nuit ! C’est pourquoi, renforcez-vous et réjouissez-vous mes chers enfants qui recherchez la perfection, ne vous arrêtez pas d’étudier, car une nuée de bonté vous recouvre et votre Torah est suave pour le Saint-Béni-Soit-Il ! Levez-vous, élevez-Moi et dites à voix haute comme le Jour de Kippour : Baroukh Chem Kevod Malkhouto Leolam Vaède !” »

Cela pour nous enseigner que la sainteté de la nuit de Chavouot est comparable à celle de Yom Kippour. Et en particulier, s’il s’adonne à l’étude de la Torah à ce moment, un juif a le pouvoir d’élever grâce à cela la Présence Divine, de compter parmi les fidèles du Sanctuaire Royal et de pénétrer avec la fiancée, la Présence Divine, sous le dais nuptial. (Certes cela a été dit au sujet des grands de notre peuple comme le Beth Yossef et la sainte assemblée des cabalistes, néanmoins, tout cela est valable pour nous chacun à son échelle, comme les paroles du ‘Hatam Sofer rapportées plus haut: même le plus faible d’entre les juifs possède un potentiel immense !)

Le Mégalé Amoukot rapporte pour sa part au nom du Avital que demeurer éveillé une nuit entière en étudiant la Torah a la force d’expier une peine de Karète (retranchement, n.d.t) dont un juif se serait rendu passible. Et si cela est vrai au sujet d’une nuit d’étude n’importe quand dans l’année, combien a fortiori la nuit de Chavouot possède-t-elle la force d’expier une multitude de peines de Karète !

« Ouvre nos cœurs ! » : prier pour acquérir la crainte du Ciel et pour réussir dans la Torah

Un juif ne doit pas perdre une occasion d’abonder en prières pour sa réussite spirituelle. Le ‘Hidouché Harim (rapporté plusieurs fois par le Sefat Emet) explique la coutume de lire le livre de Ruth pour la fête de Chavouot par le fait que celle-ci se termine par la naissance de David Hamélekh qui a abreuvé le Saint-Béni-Soit-Il de chants et de louanges. (Brakhot 7b) Cet enseignement est basé sur la ressemblance du nom רות(Ruth) et du verbe להרוות(abreuver, n.d.t). Or, David Hamélekh lui-même s’est exclamé en disant (Téhilim 119, 4) : « Vaani Téfilah », « je suis une prière », cela pour nous enseigner qu’il est impossible d’acquérir la Torah sans prier comme il est impossible de dissocier la prière de la Torah (et c’est pourquoi le jour du don de la Torah, il est coutume de lire le livre de Ruth qui évoque les prières composées par son descendant David Hamélekh, n.d.t).

Rabbi Naphtali de Rachpitz s’allongeait pendant des heures dans la prière ”Ahava Rabba” (prière faisait l’éloge de la Torah, nommée

ainsi dans le rite achkénaze et qui correspond à la même prière que Ahavat Olam dans le rite Sépharade, n.d.t). Il s’épanchait alors avec une dévotion sacrée devant le Maître du Monde pour mériter la réussite dans la Torah et la Crainte du Ciel. Cette conduite des Tsadikim vient confirmer qu’il est impensable de réussir dans la Torah et dans n’importe quel travail spirituel, sans prier à cette fin pendant ce jour. Puisse Hachem recevoir avec miséricorde nos prières. Un des disciples du ‘Hatam Sofer qui s’était marié avec une femme de la banlieue de Rachpitz se trouva un jour de Chavouot à prier en compagnie de Rabbi Naphtali. Lorsqu’il revint chez son Maître, ce dernier s’enquit de l’endroit où il avait passé la fête. Lorsqu’il apprit qu’il était à Rachpitz, le ‘Hatam Sofer lui demanda ce qu’il avait vu et entendu. Son élève lui décrivit alors l’aspect de la synagogue toute entière en émotion au moment de la prière de Ahava Rabba, lorsque tous les fidèles suppliaient en larmes qu’Hachem leur ouvre le cœur à Sa Torah. En entendant cela, le ‘Hatam Sofer ne tarit pas d’éloges à leur sujet !

Le Rav de Monkacht dans son livre Chaaré Issakhar (dans le passage consacré à Chavouot) écrit : « Les Tsadikim fervents ont coutume de s’étendre longuement dans la bénédiction de Ahava Rabba “le jour de Chavouot”. »

Rabbi Chmalké de Nikalshburg déclara une fois devant ses élèves : « Celui qui n’a pas dit la bénédiction de Ahava Rabba ou de Atta ‘Honène (toutes deux sont en rapport avec  l’étude de la Torah, n.d.t) avec dévotion, ne peut espérer innover un enseignement de Torah inédit ce jour-là. » Un de ses disciples protesta en avouant qu’il n’avait pas prononcé ces bénédictions avec concentration et qu’il avait pourtant réussi à innover le même jour un enseignement inédit de Torah. Le Rav lui demanda d’exposer cet enseignement et lui montra comment le réfuter, lui prouvant ainsi qu’il manquait d’authenticité.

On peut voir également à travers les mots de la prière qui nous a été transmise par les Anciens de la Grande Assemblée, à quel point l’homme doit s’efforcer de supplier afin que, du Ciel, on lui ouvre les portes de la compréhension dans la Torah. On ne trouve en effet dans aucune autre partie de la prière un tel langage de supplique comme Ahava Rabba. Celle-ci débute par une requête : « Puisses-tu Hachem entendre la voix de nos prières en l’honneur de Ton Grand Nom ! » On y mentionne ensuite le mérite de nos Patriarches : « En l’honneur de nos Pères qui ont placé leur confiance en Toi. » Tout ceci afin que nous puissions mériter la bénédiction : « Fais-nous grâce en nous enseignant Ta Torah ». Puis, on continue à solliciter la Miséricorde Divine en invoquant à nouveau notre relation d’un fils avec son Père envers Hachem en disant ”Notre Père, Père miséricordieux”, en rappelant en outre que cette miséricorde pour nous est permanente et en Le suppliant ainsi, que même à présent, Il ait pitié de nous : « Aie pitié de nous et donne à notre cœur le discernement et l’intelligence afin de comprendre, d’étudier et de transmettre, de conserver, d’appliquer et d’accomplir toutes les paroles d’enseignement de Ta Torah, avec amour. » De telles formules ne se trouvent dans aucune autre prière, car le fondement de tout notre travail spirituel débute par la compréhension de la Torah, sans laquelle notre existence même est menacée. On trouve à cela une allusion dans l’enseignement de nos Sages (Mekhilta  Chemot 20) : au moment du don de la Torah, Hachem est apparu comme ”un vieillard rempli de miséricorde”, afin d’indiquer à l’homme qu’il doit abonder en prières pour solliciter la miséricorde du Tout-Puissant et mériter ainsi de comprendre Sa Sainte Torah.

Dans sa traduction araméenne de la Torah, à propos des recommandations que Yitro adressa à Moché Rabbénou « Et tu les mettras en garde sur les lois et les préceptes et tu leur feras savoir la voie qu’ils doivent adopter » (Chemot 18, 20), Yonathan Ben Ouziel traduit et commente ce verset en écrivant : « Tu leur enseigneras les prières qu’ils doivent dire dans leurs synagogues », alors que ce verset ne fait nullement mention de prières mais seulement des lois et des préceptes. Ceci afin de suggérer à nouveau que la réussite dans la Torah nécessite d’épancher son cœur en prières devant Hachem.

Néanmoins, sitôt après avoir prié, on devra s’adonner à l’étude. Il est en effet illusoire de supplier dans la prière de Ahava Rabba si lorsqu’il s’agit de mettre les choses en pratique, l’homme est absent.

Le ‘Hafets ‘Haïm comparait cela à un pauvre qui avait supplié en pleurant un homme riche de l’aider à subvenir à ses besoins. Ce dernier lui répondit qu’il n’avait pas d’argent en poche et lui recommanda de venir à son travail à une certaine heure. Il serait alors en mesure de lui remettre une somme conséquente. Le pauvre ne vint pas ce jour-là. Le lendemain, le pauvre réitéra sa requête. « Je t’avais pourtant recommandé de venir hier, lui dit le riche, pourquoi n’es- tu pas venu ? Bon, viens aujourd’hui ! » Le phénomène se reproduisit plusieurs jours d’affilée. Peut-on imaginer, demande le ‘Hafets ‘Haïm, que ce riche continue encore  à prêter attention aux demandes de ce pauvre ?

On rapporte que le Rav de Rachpitz aperçut un jour un Avrekh qui priait avec beaucoup de dévotion le jour de Chavouot et qui prononçait pendant très longtemps les mots « éclaire nos yeux de ta Torah », et cela plusieurs fois comme un fils qui demanderait à son père avec insistance. Lorsqu’il eut fini, le Rav s’approcha de lui avec un grand livre de Guemara dans ses mains et lui dit : « J’étais dans le Ciel et j’ai vu que ta prière a porté ses fruits et a été exaucée avec bienveillance ! Voici une Guemara, commence à étudier ! »

Il est connu que Rabbi Mendel de Riminov disait (Béérot Hamaïm) qu’à partir de Roch ‘Hodèche Sivan lorsque les Bné Israël commencèrent à voyager dans le désert jusqu’à leur arrivée au Mont Sinaï où ils reçurent la Torah, ils prononçaient la prière de Ahava Rabba avec application et une dévotion particulière et ils suppliaient du fond du cœur ”éclaire-nous de Ta Torah et attache nos cœurs à tes préceptes” afin de se préparer au don de la Torah.

Il nous incombe en particulier pendant cette période, de veiller à prononcer les bénédictions de la Torah avec d’autant plus de concentration. Le Noda Beyouda (Tsa’h Brakhot 64a) affirme que selon lui la bénédiction sur la Torah possède la propriété miraculeuse de faire que l’on n’oublie pas ce que l’on étudie.

Rav Elimélekh Biderman chlita