27 avril 2024

« Et Avraham dit à son serviteur, le plus ancien de sa maison, qui avait le gouvernement de tous ses biens : “Mets je te prie ta main sous ma cuisse, que je te fasse jurer par l’Eternel, D.ieu du Ciel et de la Terre, de ne pas choisir une fille de Canaan… » (Beréchit 24 ; 2-3)

Dans ce verset nous voyons Avraham faire prêter serment à Eli’ézer, son fidèle serviteur, homme de la plus grande intégrité et en qui il avait toute confiance, afin qu’il aille chercher une femme qui ne soit pas de Canaan pour son fils Yts’hak. Replaçons-nous à présent dans le contexte : Eli’ézer était le serviteur d’Avraham certes, mais ce n’était pas n’importe quel homme.

Dans la Guémara (Yoma 28b), il est écrit : « Eli’ézer dominait la Torah de son maître », et aussi, au travers d’un jeu de mots, il est dit qu’Avraham l’appelait « Daméchek » (Beréchit 15 ; 2), c’est-à-dire qu’« il puisait (Dolé) la Torah de son maître et en donnait à boire (Machké) aux autres ». En quelque sorte, nous pouvons dire qu’Eli’ézer était le Machguia’h de la maison d’Avraham ! La Guémara continue et précise : « L’éclat du visage d’Eli’ézer ressemblait à celui d’Avraham. » Ce qui signifie aussi qu’Eli’ézer maîtrisait ses instincts comme Avraham son maître.

Après ces quelques précisions, nous pouvons de nouveau nous interroger : Avraham avait-il vraiment besoin de faire jurer Eli’ézer, et à l’endroit du corps d’un homme le plus sacré : celui de la Brit mila, représentant l’alliance avec Hachem ? En réalité, la Torah nous offre ici un enseignement fondamental, en effet, nous voyons la distinction qu’Avraham établit entre ses biens matériels et l’avenir de son fils, sa descendance, soit en d’autres termes entre le matériel et le spirituel.

Et quelle descendance ! Yts’hak n’était-il pas le meilleur parti du monde, celui qui détenait le message de la Vérité ? Le nom de sa future épouse ne serait-il pas gravé à tout jamais dans l’Histoire ? Il y a des moments dans la vie, où l’on pas droit à l’erreur !

Et Avraham en avait pleine conscience, celle qui devait transmettre le flambeau du message Divin ne pouvait pas être choisie par le premier venu, ni négligemment : cela aurait en effet des répercussions sur toute l’humanité !

L’habitude dans nos sociétés est de demander garants et cautions lorsqu’une personne se présente à nous pour un prêt d’argent, afin de se protéger d’une quelconque perte financière et d’écarter tout risque : quand il s’agit du matériel, nous voulons évoluer en toute sécurité.

Mais qu’en est-il lorsque nous allons acheter des Téfiline, de la viande, un Etrogue, etc… ? En général, avoir en face de nous une personne avec une belle barbe ou un beau chapeau nous suffit amplement dans ces moments-là !

On raconte que lors de l’un de ses voyages, Rabbi Israël Salanter Zatsal arriva dans un petit village.  Un villageois Juif vit le Rav qu’il ne connaissait pas, mais dont la barbe et le chapeau semblèrent lui en dire long puisqu’il s’adressa à lui en ces termes : “Vous me paraissez bien religieux, dites-moi, savez-vous pratiquer la Che’hita car j’ai un poulet qui en a besoin ?”

Le Rav lui répondit : “Non désolé je ne sais pas, mais dites-moi à votre tour, j’ai moi aussi un service à vous demander : Pourriez-vous me prêter 100 roubles ?”

Le villageois désarçonné s’exclama : “Mais je ne vous connais même pas, comment pourrais-je vous prêter de l’argent ? J’ai besoin de savoir qui vous êtes, d’où vous venez, d’avoir des garants…”

Le Rav amusé lui dit alors : “Est-ce que vos oreilles entendent ce que votre bouche exprime ? Pour un prêt d’argent vous avez besoin de me connaître, d’avoir des garants, d’être en confiance… Par contre pour la Che’hita de votre poulet, ma barbe et mon chapeau vous suffisent !”

Ne nous fions pas aux apparences : La barbe ne fait pas le Rabbin !Nous pouvons avoir une personne à l’air très honnête en face nous, et même être tout à fait honnête, elle a son Yetser Hara’ comme tout le monde.

Ainsi Eli’ézer, fidèle élève d’Avraham, celui qui maîtrisait ses instincts comme son maître, avait lui-même une fille, elle était de Canaan certes, mais c’était sa fille, à qui il avait transmis les valeurs d’Avraham. « Alors pourquoi chercher plus loin ? » pouvait se dire ce papa plein d’espoir. Cela aurait été naturel, et oh combien humain ! Voilà pourquoi Avraham fut tellement vigilant et le fit prêter serment à l’endroit le plus sacré, avant qu’il n’aille chercher une femme pour Yts’hak.

Il faut se méfier de tout le monde parce que tout le monde a un Yetser Hara’, c’est ainsi que nous avons été créés et c’est donc bien. Ne négligeons pas le matériel bien entendu !

Notre propos n’est pas d’encourager à ne pas prendre nos précautions si nous prêtons de l’argent : mais remettons les valeurs en ordre. A l’exemple de notre Patriarche Avraham, faisons la place au spirituel c’est-à-dire à Hachem, et pour ce qui concerne notre Néchama aussi, demandons des vraies garanties ! Il faut savoir que l’âme de chacun est totalement pure, et que chaque entorse aux Mitsvot l’entache : manger non cacher, mettre nos enfants dans des écoles ou les laisser fréquenter des gens ne respectant pas les lois Juives, ne pas respecter Chabbat, regarder ce qui n’est pas décent… Faisons donc partout une place à D., c’est la clef du succès !

Notre Yétser Hara nous incitera toujours au relâchement, on sera parfois tentés de choisir un produit alimentaire en fonction du beau paysage figurant sur l’étiquette plutôt que de son label de cacherout ! On évitera d’interroger des Rabanim, nous connaissons déjà les réponses : “j’ai déjà vu untel en acheter”, ou encore : “Rav Coolovitch en mange…”

Ne nous laissons pas impressionner par la barbe et le chapeau de la personne en face de nous, le père noël (léhavdil) lui aussi en porte !

Un jour un monsieur entra dans un restaurant près de Tsfat, avant de s’attabler il chercha la téoudat cacherout, ne la trouvant pas, il demanda ce qu’il en était au propriétaire des lieux. Celui-ci lui répondit : “ Y a pas de problème mon frère, ici c’est casher 100%, regarde les photos de Baba Salé, Rabbi Méïr…” Le client lui répliqua alors ironiquement mais gentiment : “ Lorsque je verrai ta photo dans leur cuisine, alors je viendrai manger chez toi…”  Nous devons savoir que le poison est au corps ce que le Taref  est à l’âme pour un Juif !

C’est sûr que les dégâts causés par un poison se voient immédiatement, c’est là toute la difficulté du non croyant, il ne voit pas les dégâts sur l’âme donc il s’imagine qu’ils n’existent pas, pourtant nos Sages nous enseignent qu’ils sont bien plus dangereux ! En effet, les dégâts causés sur le corps ne concernent que ce court passage de quelques 80 ans environ que nous vivons sur terre, par contre les dégâts occasionnés sur l’âme auront des répercussions sur l’âme pour l’éternité dans le Monde Futur ! Voilà l’enseignement d’Avraham : pour l’âme, la nôtre et celle de nos enfants, il faut redoubler de vigilance.

L’argent lui, va et vient, et de toutes façons ce qui nous revient est décrété à Roch Hachana pour toute l’année.

Par contre, la façon dont je vais accomplir les mitsvot, dont je vais prendre au sérieux ce qui concerne le domaine invisible de mon âme, la qualité de mon Service Divin influera sur ma vie dans le Monde Futur, ainsi que sur celle de tous les miens, et influera aussi sur ce monde-ci, pouvant entraîner des «yéchouot/délivrances»  dans tous les domaines.

Chabat Chalom 

Rav Mordekhai BISMUTH